Ce 26 décembre, France 2 à la suite de l'épisode spécial L'effroyable mariée, repassait dans la foulée le premier épisode de la série Sherlock. Pour les trois du fond qui n'ont pas suivi, Sherlock est une série de la BBC où le personnage de Conan Doyle est transposé à notre époque. L'épisode pilote intitulé Une étude en rose fait assez ouvertement référence à la première aventure écrite de Sherlock Holmes, Une étude en rouge. Dans celui-ci Holmes et Watson se rencontrent, emménagent ensemble et s'occupent d'une affaire de "suicides en série" où quatre victimes sont retrouvées mortes en ayant ingurgités elles-même le poison. Bien évidement, plus tard, on découvre que tout ceci est le fait d'un assassin, mais qui ne fait selon ses mots que "parler" aux victimes.

A la fin de l'épisode, Sherlock se retrouve dans un face-à-face avec l'assassin, celui-ci lui expliquant sa technique. Il dispose deux flacons avec une gélule à l'intérieur, l'un contenant un poison, l'autre étant innofensif, et pose un choix à Sherlock : ingérer l'une des deux gélules, lui prendra l'autre. Et pour ne pas réduire ce choix à un simple hasard, il pousse l'un des deux flacons en direction de Sherlock. "Un jeu d'échec à un coup". Sherlock révèle alors la nature de l'assassin, vieux chauffeur de taxi que sa femme a quitté et qui lui interdit de voir ses enfants. Et lui pose la question : pourquoi ces meutres ? Le chauffeur de taxi, à l'article de la mort à cause d'un anévrisme, déclare avoir un sponsor (Moriarty) qui enverra de l'argent à ses enfants ensuite.

L'intrigue se conclut sur Sherlock tentant le pari de prendre un des deux flacons, poussé par l'assassin, et risquant ainsi le danger de mort, sauvé à la dernière seconde par Watson qui décide lui d'abbattre le chauffeur de taxi au revolver. Et on ne peut que saluer son geste. Comme souvent, et en ce sens prouvant la fidélité de l'adaptation, Sherlock Holmes se montre particulièrement stupide dans cette interraction avec l'assassin. Il s'arrête à la première interprétation qu'il en fait, croit ouvertement tout ce que lui dit celui-ci et se montre méprisant quand le chauffeur de taxi déclare être lui aussi un génie, tout en étant facilement manipulé par lui tout du long, jusqu'à risquer inutilement la mort !

Sherlock 1.1 - Moriarty vainqueur

Pour s'intéresser plus largement au personnage de Sherlock Holmes et à ses nombreuses erreurs, on conseillera le livre de Pierre Bayard, L'affaire du chien des Baskerville. Le personnage de Sherlock est en effet clairement imbus de ses capacités. Il a beau se moquer de Watson à plusieurs reprises pour ses hypothèses farfelues, il ne fait pas mieux à plusieurs reprises dans la série. Le meilleur exemple vient lors de l'affrontement avec Charles Augustus Magnussen, un magnat de la presse qui profite de ses connaissances des secrets honteux des gens pour les manipuler à sa guise. Tout au long de l'épisode Sherlock est persuadé que la maison de Magnussen renferme une bibliothèque cachée où il entrepose tous ces secrets, et fantasme même sur un système reliant cette bibliothèques aux lunettes de Magnussen, ce qui lui permet de "lire" sur les gens. A la fin Sherlock est bien obligé de constater que l'hypothèse des lunettes est stupide et même absurde, et que de bibliothèque il n'y a point. Magnussen utilise simplement de la même méthode que Sherlock, celle du palais mental, pour se rappeler ces secrets enfouis et à sa guise ressortir les contacts lui permettant de préciser les détails.

Ainsi, à plusieurs reprises dans la série, Sherlock refuse d'admettre que d'autres lui sont également intelligents, voire plus intelligent que lui. Son grand frère Mycroft et son ennemi Moriarty lui disent ouvertement qu'il est stupide, et Magnussen n'en pense pas moins dans les interractions avec Sherlock. Si d'autres personnages comme Watson lui rappellent également régulièrement sa stupidité, c'est davantage sur son incapacité à gérer ses relations sociales, sans remettre en cause ses capacités de déductions. Mais dans une étude en rose, et tout comme Moriarty plus tard, l'assassin déclare que Sherlock finalement est aussi stupide que le commun des mortels. Et étant donné que celui-ci est payé par Moriarty, on peut se demander si ce qui ressemble à une affaire de meutres en série n'est pas simplement un test de Moriarty envers Sherlock Holmes, test auquel celui-ci échoue lamentablement.

Sherlock 1.1 - Moriarty vainqueur

Les premiers meurtres sont filmés rapidement au début de l'épisode. Or, incohérence visuelle avec l'affrontement final, les flacons sont montrés remplis avec plusieurs pilules. Ce qui ne correspond pas au récit de l'assassin prétendant avoir toujours utilisé la même méthode. Et de même, si Sherlock a reconnu que le pistolet du chauffeur de taxi était un faux, on pourrait se demander pourquoi aucune victime ne s'est rebellée contre un vieil homme faible auquel il ne serait pas difficile de s'opposer malgré la menace d'une arme à feu. A la fin de son affrontement, Sherlock craque et aurait ingéré la pillule dans l'intervention de Watson. Pourtant il est facile de prendre les deux flacons, de les faire analyser et de voir ensuite si on avait raison, sans jamais risquer sa vie dans un jeu aux règles douteuses. Mais l'assassin touchant le point faible de Holmes, vantant son intelligence et son ennui face à un monde stupide et lent, il parvient (facilement) à le convaincre de participer à son jeu.

Le problème étant que les règles sont édictées par l'assassin, et qu'il n'y a aucun moyen de vérifier si celles-ci sont valides. Les deux pillules pourraient être empoisonnées et le chauffeur taxi pourrait seulement simuler son ingestion. Y compris en la mettant dans la bouche, une gélule ne se dissout pas immédiatement dans l'organisme. Voire, étant donné qu'il est à l'article de la mort, il pourrait très bien vouloir mourir en même temps que Sherlock, comme ultime rebondissement de son entreprise meurtrière. Surtout que rien ne prouve que la méthode utilisée a toujours été la même. Après tout l'assassin a le temps de parler à la victime dans son taxi et de comprendre le caractère de la victime - "Je sais comment les gens pensent. Je sais comment les gens pensent que je pense." - et d'adapter son jeu à son interlocuteur.

Surtout, s'il est si intelligent, pourquoi ces erreurs pendant l'épisode ? Pourquoi répondre au texto de sa victime ? Pourquoi aller au lieu de rendez-vous fixé par Sherlock Holmes (que l'assassin sait impliqué dans l'affaire par Moriarty) au risque de se faire prendre ? Pourquoi prendre le risque de croiser la police au 221B Baker Street pour piéger Sherlock alors que celui-ci n'a aucune idée de qui est l'assassin et qu'il suffit de se débarasser du portable pour être libre de ses mouvements ? La seule réponse que l'on peut apporter à ces questions est que Sherlock Holmes était visé depuis le début, et que même la série de meurtres n'avait probablement pour utilité que de capter son attention.

Sherlock 1.1 - Moriarty vainqueur

Comme le demande Sherlock dans l'épisode : "Pas de projet sur l'avenir. Et là vous vous lancez dans un meurtre kamikaze, c'est quoi le problème ?". Le problème des déductions à la Sherlock Holmes est que de créer les hypothèses sur des détails, on passe à côté du pourquoi. La réponse est seulement apportée à la fin : ces meurtres sont sponsoriés par Moriarty. Ce qui ne résoud rien. Pourquoi ce chauffeur de taxi deviendrait-il soudainement un meurtrier et pourquoi Moriarty donnerait-il de l'argent pour voir les meurtres réalisés ? On ne peut retenir qu'une certitude : Moriarty est derrière l'affaire. Et plutôt que de l'imaginer en bienfaiteur, il est plus facile de l'imaginer en commanditaire. Et que l'assassin désigne Moriarty comme un fan prend beaucoup plus de sens si tout ceci n'est qu'un test des capacités de Sherlock Holmes.

On peut même se demander à quel point l'histoire du chauffeur de taxi telle que la déduit Sherlock Holmes est vraie. Après tout, Moriarty le piège de la même façon à la fin de la saison 1 en se faisant passer pour ce qu'il n'est pas. La mousse à raser et les vieux vêtements peuvent tout autant être factices. Et le fait que Sherlock dans l'épilogue se moque de ce chauffeur de taxi qui visiblement ne connaît pas bien Londres peut tout autant signifier qu'il n'en est même pas un. Mais quand bien même l'assassin se révèle brillant (ce que reconnaît Holmes lui-même), il ne parvient pas à dépasser cette vision du petit vieux et ne prend jamais au sérieux la menace qu'il constitue, trop fasciné par le récit que lui délivre l'assassin. Sans l'intervention salavatrice de Watson, on peut parier que Sherlock Holmes n'en sortait pas vivant.

La sous-estimation des adversaires est une constante dans la série pour Sherlock. Que ça soit Moriarty, Irène Adler, Charles Augustus Magnussen... Le métier de détective n'est pour lui qu'un jeu, mais dans lequel il montre de nombreuses failles, trop facilement réceptif aux histoires merveilleuses qui correspondent à son point de vue sur le monde. Ces failles sont présentes y compris dans ses rêves. Dans l'épisode spécial L'effroyable mariée, Sherlock sous l'effet de drogue se recréée son affrontement avec Moriarty dans un style proche des histoires originelles, aux chutes du Reichenbach. Se considérant plus fort que Moriarty au combat rapproché, il se retrouve à l'article de la mort, sauvé in-extremis par Watson qui stoppe le combat par la menace d'une arme à feu. Impossible de ne pas voir le parallèle avec l'affrontement final du premier épisode. Et de tirer les mêmes conclusions : si Sherlock Holmes a vaincu Moriarty, c'est parce qu'ils étaient deux.

En bref, le vrai Héros avec un grand H de la série Sherlock se nomme John Watson. L'intérêt n'est pas d'assister à la réussite d'un héros invicible et sur-intelligent, mais d'explorer les failles d'un détective infantile et trop sûr de lui. Et le premier épisode montrait déjà à quel point Sherlock était faillible.

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